Le 1er septembre, Nathanaël Mathieu, Président de Neo-nomade était interviewé par Alexandre Le Mer sur Europe 1 pour parler du phénomène de démission silencieuse (« quiet quitting ») et de ses impacts possibles pour les entreprises françaises. Dans cet article, nous vous proposons d’aller plus loin.
Le hashtag #quietquitting est apparu en juillet aux Etats-Unis via TikTok et il est devenu rapidement viral, ses instigateurs invitant les salariés à lever le pied au travail !
Au-delà du phénomène médiatique, les causes sont bien réelles et les entreprises ont tout intérêt à voir clignoter le « panneau danger » et à s’interroger sur les changements impératifs à apporter dans leurs cultures et pratiques de travail.
Démission silencieuse : un terme qui prête à confusion
La démission silencieuse invite les salariés à lever le pied et à s’en tenir au respect strict du contrat de travail : Pas de travail en dehors des horaires, pas d’heures supplémentaires !
Le sujet tourne vite au débat dans les entreprises et sur la toile. Certains voient dans cette attitude du dilettantisme, et plus globalement le marqueur d’une société qui a moins le goût du travail. Alors qu’à l’inverse d’autres personnes y voient une prise de conscience salutaire et un juste rééquilibrage des relations entre les entreprises et les salariés.
Il faut avouer que les termes « démission silencieuse » prête à confusion. Les personnes, qui ont sauté le pas, insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas de ne rien faire mais plutôt de réduire leur rythme de travail pour ne plus s’y épuiser.
Mais essayer de rééquilibrer vie professionnelle et vie privée : est-ce une démission ?
Les employés ne quittent pas leur entreprise, n’abandonnent pas leur poste et ne réduisent pas non plus leur productivité en deçà de ce qui est prévu dans leur contrat. Il serait plus juste de parler de détachement ou de démobilisation (et c’est déjà beaucoup !)
Le terme silencieux est également non adapté puisque les précurseurs de ce mouvement ont décidé d’en faire moins au travail mais, chose inhabituelle, ils souhaitent le faire savoir massivement !
L’envie de créer un électrochoc
Lever le pied dans son travail n’est pas quelque chose de nouveau. Généralement cela se faisait en discrétion et le sujet se réglait avec le temps. Cette volonté assumée de rendre public ce choix de vie via les réseaux sociaux et de créer un effet d’entraînement est elle nouvelle.
Au-delà du changement de vie individuel, il y a clairement un souhait de créer un électrochoc et une envie de contribuer à une dynamique de changement. Le but du mouvement est d’interpeller :
- d’autres salariés pour les amener à sauter le pas eux aussi ;
- les entreprises pour les amener à changer de paradigme.
La tendance « démission silencieuse» reprend donc les mêmes leviers de viralité que le spectaculaire mouvement de « Grande démission » apparu post Covid. Et si les choix de vie derrière ces deux mouvements sont finalement très différents. Dans un cas le salarié quitte l’entreprise et dans l’autre il reste, on ne peut que constater que les raisons à l’origine de ces deux phénomènes se recoupent.
Les principales raisons de la ‘‘démission’’ grande ou silencieuse
Plusieurs raisons émergent des témoignages de salariés. On retrouve pêle-mêle :
Des aspects économiques : ce n’est sans doute pas une coïncidence si le phénomène émerge en période d’inflation. Malheureusement, en 2022, la hausse des salaires a été deux fois moindre que celles des prix.
L’envie de préserver sa santé et d’éviter les burn-out : c’est l’un des déclencheurs les plus puissants et ce sentiment s’est vraisemblablement renforcé avec la crise du Covid et lors des confinements.
Un ras le bol des dysfonctionnements dans l’organisation du travail : Droit à la déconnexion défaillant, sursollicitassions, pratiques de managements toxiques ou a minima non adaptés aux nouvelles pratiques de travail et plus généralement le sentiment d’un manque de respect et de valorisation de la part de l’entreprise (décrit de manière détaillée dans cette étude de McKinsey fin 2021)
Un questionnement plus individuel sur la place du travail dans sa vie : souvent traduit par le souhait de rééquilibrer temps de vie professionnel et temps de vie personnel.
Les raisons sont multiples et convergentes. Face à celles-ci, les entreprises ne peuvent plus s’affranchir de questionner les rapports employé/employeur et la valeur travail en leur sein.
Un signal de plus pour les entreprises !
Cette forme d’aveuglement n’est pas nouvelle pour les entreprises. Le déploiement du télétravail a fait face à des blocages similaires pendant près de 15 ans : Nombre d’entreprises refusant d’embrasser pleinement le sujet de confiance et d’autonomie avant de devoir sauter le pas contraintes et forcées face à la pandémie.
La pérennisation du télétravail apparaît désormais comme la première étape et la pandémie le premier déclencheur d’une transformation plus profonde du travail notamment en ce qui concerne le(s) rapport(s) entreprise / collaborateur.
Les signaux d’alerte s’accumulent pour les entreprises !
Au premier trimestre 2022, il y a eu 46% de démissions en plus par rapport à 2021 (25% de démissions en plus si l’on compare au premier trimestre 2019 – hors pandémie). Les témoignages d’épuisement professionnel, de comportements abusifs et même de cultures de travail toxiques se sont multipliés depuis 2021 (ex : balancetonagency, balance ton cabinet, balancetastartup). Certaines entreprises, notamment dans le secteur du conseil, ont vu leurs turnovers s’envolaient pour dépasser les 20% annuel. Elles n’arrivent plus à recruter suffisamment pour tenir leurs objectifs de croissance. Cela met en péril leur modèle et elles redoublent donc d’effort pour attirer.
Le phénomène de démission silencieuse ne vient que renforcer ce constat.
Quelles solutions pour les entreprises ?
extrait de l’étude McKinsey : ‘Great Attrition’ or ‘Great Attraction’? The choice is yours (2021)
De nombreuses solutions existent pour enrayer la dynamique de « démission » mais force est de constater que les entreprises ne proposent pas toujours les réponses adaptés du fait d’une mauvaise compréhension initiale de ce qu’attendent réellement leurs salariés.
1- Rémunération et avantages matériels : une action nécessaire mais pas suffisante ?
En période d’inflation, l’augmentation des salaires s’impose ne serait-ce que pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés. En moyenne, les salaires ont augmenté de 2,5% en France en 2022, mais certaines entreprises ont décidé d’augmenter les collaborateurs de manière beaucoup plus significative (plus de 10%) pour apporter une réponse à la hausse des prix tout en préservant l’attractivité.
Dans les secteurs les plus sous pression en matière de recrutement (cabinets de conseil, entreprises de services numériques, start-ups…), cette dynamique n’est pas nouvelle et l’on observe une véritable surenchère depuis plusieurs années sur les salaires et d’autres dispositifs comme par exemple :
- L’élargissement des avantages salariés traditionnels (Titre restaurant, chèques cadeaux, vacances ou carburants, …) aux besoins péri-professionnels tels que la garde des enfants, les services à la personne, l’accès aux transports ou encore l’accès aux biens et services culturels.
- Le développement de l’Actionnariat salarié et collectif
Si côté salarié, la rémunération apparaît toujours comme un critère majeur dans le choix de rester ou quitter une entreprise, celle-ci ne représente plus l’alpha et l’omega. Ainsi malgré des investissements en constante hausse, les entreprises n’ont pas fait décoller le niveau d’engagement depuis 2016 (étude Gartner 2021) et désormais celui-ci s’effondre.
En concentrant la majorité de leurs efforts sur les aspects financiers , les employeurs semblent négliger les principaux moteurs du départ des employés, tels que l’amélioration de l’organisation du travail, le manque d’appartenance ou le besoin d’être valorisé au travail.
2- Flexibilité dans les conditions de travail : une liberté et une autonomie attendue
Pour l’ensemble des métiers de la connaissance, le travail hybride est plébiscité et les entreprises qui ne le proposent pas (ou pas assez) font face à des difficultés de recrutement. La capacité d’une entreprise à offrir aux salariés une organisation de travail permettant un meilleur équilibre vie privée-vie pro est un argument massue pour convaincre des collaborateurs de rejoindre une organisation et de s’y engager pleinement. En matière d’organisation du travail les axes d’amélioration sont très nombreux :
- flexibilité des horaires : capacité à choisir ses horaires librement en cohésion avec le reste de l’équipe
- télétravail que ce soit à domicile ou dans des espaces de coworking !
- semaine de 4 jours
- congés illimités
- congés sabbatiques
Toutes ces évolutions « structurelles » très largement attendues de la part des employés sont autant d’axes d’amélioration pour les entreprises. Reste un axe fondamental bien souvent mal compris et donc non traité par les entreprises.
3- Améliorations des relations : épanouissement personnel et collectif
Les salariés souhaitent être valorisés dans l’organisation et tout simplement considérés comme des personnes et non plus comme de simples travailleurs. La valorisation par l’organisation et par le manager est donc primordiale. Les employeurs doivent se concentrer sur l’amélioration de ces éléments relationnels quitte à parfois reléguer les facteurs structurels tels que le salaire et le modèle de travail au second plan.
Cet axe de transformation est le plus attendu par les salariés et le moins bien abordé par les entreprises. Il faut avouer qu’il est délicat à faire évoluer car il touche à la transformation d’une culture d’entreprise, à l’éradication de comportements toxiques et à l’accompagnement des individus et des équipes dans cet objectif.
L’enjeu de l’évolution vers un management plus éthique s’inscrit par ailleurs dans une logique de mieux accompagner les collaborateurs dans leur développement professionnel et leur proposer des plans de développement personnel (coaching, formations,…)