Le concept de travail « hybride » fait de plus en plus parler de lui, en France comme à l’étranger. Il semble séduire entreprises et collaborateurs après la crise : 78% des talents français plébiscitent un modèle hybride selon une étude récente Cadremploi Boston Consulting group. Nous revenions sur ce blog sur les 5 scénarios d’organisation du travail post-COVID : aux deux extrêmes, le 100% bureau et le 100% télétravail. Entre les deux, des modèles « hybrides » d’organisation du travail. Mais comment peut-on définir le travail hybride plus précisément ? Quels avantages propose ce modèle d’organisation ? Comment les mettre en place ? Quels sont les risques ou les dérives possibles ?
Observateurs depuis 10 ans de modes et lieux de travail flexibles, nous vous proposons une première lecture de ce phénomène en plusieurs billets. Nous vous proposons de commencer par l’angles de la multiplicité des lieux de travail. Excellente lecture !
Travail Hybride – de quoi parle-t-on ?
Il n’existe pas encore de définition admise du travail hybride. Pour Cadre Emploi, c’est un “savant dosage de télétravail et de journées en présentiel au bureau”. Pour le Ministère de l’Economie, le travail hybride est “la combinaison du travail au bureau et à distance”. Ces définitions nous donnent une idée de ce que voudrait dire le « travail hybride ». Mais on ne voit pas encore la différence réelle avec les pratiques pré-COVID du télétravail : n’était-il pas aussi une « combinaison » entre travail au bureau et travail à domicile ?
On propose donc de définir le travail hybride plus précisément comme “un mode d’organisation dans lequel coexiste une pluralité de lieux de travail, et de rythmes d’utilisation de ces lieux”. C’est donc bien la combinaison de différents lieux de travail et des différents rythmes que pourront choisir les différents collaborateurs ou équipes qui caractérise le travail hybride.
On peut définit le travail hybride comme “un mode d’organisation dans lequel coexiste une pluralité de lieux de travail, et de rythmes d’utilisation de ces lieux”
Les maîtres mots du travail hybride sont donc : liberté, flexibilité et choix. Liberté : de choisir ses lieux de travail, le nombre de jours de travail, à distance ou au bureau, en fonction du choix plus ou moins large des espaces (voir plus loin) et des rythmes (1 à 5 jours par semaine à distance par exemple). Le résultat est une flexibilité d’organisation des temps professionnels et personnels pour les collaborateurs. Ce dont ils sont demandeurs en sortie de crise du COVID. C’est ce que souligne une étude récente de Microsoft dont le titre Français pourrait être “Le travail hybride sera la prochaine grande disruption – mais sommes-nous prêts ?”. Cette étude montre que 73% des salariés interrogés souhaitent avoir la flexibilité de choisir l’intensité avec laquelle ils travaillent à distance, ainsi que leurs lieux de travail.
Libre à chaque entreprise ensuite de définir les règles qui vont encadrer ces modes de travail hybrides : intensité plus ou moins grande du travail à distance, choix plus ou moins large de lieux de travail. En posant un temps de présence minimum par exemple. Ce que semble vouloir faire Google récemment : les collaborateurs devront passer un minimum de 50% de leur temps au bureau.
Dans un monde où le “bureau cathédrale” a complètement volé en éclat, le travail hybride pose donc la question des lieux possibles du travail et de leurs rôles, ainsi que les avantages et risques de ce modèle.
Le travail hybride annonce l’émergence d’une pluralité de lieux de travail
Avec le développement de cette “liberté du lieu de travail”, le travail hybride ouvre la voie vers un choix large de lieux possibles :
- Le bureau (siège) : on pourrait conclure un peu rapidement que la crise du COVID a acté la mort définitive du bureau. Si le travail peut être fait à distance avec le même niveau de productivité qu’au bureau, pourquoi perdre des heures à y aller, et pourquoi payer pour des bureaux onéreux ? En réalité, nos dernières enquêtes montrent que 80% des collaborateurs souhaitent revenir au bureau – au moins une partie du temps. Socialisation et collaboration sont les deux raisons principales qui feront venir les collaborateurs au bureau demain. 90% des collaborateurs viendront pour partager des temps de socialisation et 70% pour des sessions de travail collaboratif. Le bureau sera sans doute repensé dans de nombreux cas pour ces usages, et en fonction de l’intensité du travail à distance.
- Le bureau (hub) : c’est une tendance que nous voyons de plus en plus sur Neo-nomade. Les entreprises créent de plus petits “hubs” flexibles, souvent hébergés en espaces de coworking / opérateurs flexibles. Ceux-ci permettent d’assurer une présence locale / régionale, tout en limitant les temps de transport des collaborateurs. Il permettent aussi aux équipes dispersées de se retrouver ponctuellement ou d’héberger des équipes projet sur une durée limitée.
- Les tiers-lieux (professionnels) ou espaces de coworking : en forte progression avant le COVID, les espaces de coworking hébergent indépendants et salariés dans un espace professionnel commun. Ils fonctionnent en réseau, via le système de PASS que nous avons développé avec la communauté des espaces. Ceci permet d’assurer une couverture géographique maximum et de proposer un espace à 15 minutes des lieux d’habitation de tous les collaborateurs. L’intérêt de cette option est qu’elle permet cette coupure vie pro / perso, tout en limitant les temps de transport. 55% des collaborateurs interrogés se disent intéressés par cette option s’ils télétravaillent plus de 2 jours par semaine selon une étude récente d’Actinéo. Les espaces de coworking posent néanmoins la question du coût de la prise en charge par l’employeur. Des récents textes de loi proposent d’ailleurs de défiscaliser l’utilisation d’un “ticket bureau”. Il y a donc fort à parier que cette tendance va s’inscrire dans la durée.

- Les tiers-lieux (publics) : cafés wifi, hôtels, gares… Autant de lieux déjà utilisés avant COVID par les nomades de tous bords. Même s’ il est peu probable que les entreprises formalisent des modalités d’accès à ces lieux, ils resteront une réelle solution d’appoint, dans un monde hybride. On peut noter d’ailleurs que dans certains cas la frontière entre coworking et café-wifi est très ténue, comme le montre l’émergence de l’offre de Café coworking comme Anticafé ou Hubsy Coworking, très prisés de nos utilisateurs.
- Le domicile : le domicile restera un lieu important de travail dans le modèle hybride. On l’a vu avec le COVID, le domicile est plébiscité, mais dans certains cas montre ses limites. En particulier, le manque d’équipement est cité ainsi que les problématiques de frontière vie pro / perso qui deviennent de plus en plus pressantes. La question également de la prise en charge des coûts d’équipement est fréquemment évoquée et discutée dans les négociations sociales en cours.
- Le domicile (étendu) : il est probable également que le télétravail soit étendu dans de nombreux cas aux maisons secondaires. Pour permettre à ceux qui ont la chance de pouvoir le faire, de travailler hors des centres urbains une partie du temps. Reste la question d’un réel déménagement d’un collaborateur qui souhaiterait changer de région, ou même vivre à l’étranger. Il n’est pas sûr que toutes les entreprises le permettent, même si ceci répond à une demande d’une partie des collaborateurs.
- Les lieux de villégiature / à l’étranger : c’est aussi une tendance directement liée à la crise du COVID. Dans une perspective hybride, on peut imaginer laisser les collaborateurs aller travailler depuis leur lieux de villégiature ou depuis l’étranger. On a vu ainsi des équipes entières louer des appartements ou maisons sur les plateformes, pour des sessions de travail “au vert”. Nous avions d’ailleurs testé ce mode de travail nous-même avec un de nos collaborateurs qui a travaillé au Mexique pendant 2 semaines. Le carnet de bord et conclusions est disponible dans un autre de nos billets. Cela reste cependant l’une des formes les plus “extrêmes” du travail hybride. Il est probable que seules quelques petites entreprises ou start-up testeront ce modèle avant qu’il se démocratise réellement.
On voit bien que face à l’étendue très large des lieux possibles du travail hybride demain, chaque entreprise devra placer son curseur. L’objectif sera de définir, dans la “politique de travail hybride”, quels lieux sont possibles et dans quelles conditions.
Il en sera de même pour l’intensité du travail à distance : 1 à 5 jours ? Limité à 3 jours par semaine ? 4 jours à distance imposés par l’entreprise – comme c’est le cas par exemple pour PSA ? Les entreprises sont aujourd’hui face à une opportunité sans précédent de redéfinir complètement leurs organisations du travail après COVID. En gardant toujours en cible les avantages que ce mode de travail hybride peut apporter.
Le principal avantage du travail hybride : il répond aux attentes des collaborateurs
L’un des avantages les plus évidents du travail hybride est qu’il est capable de répondre aux besoins – variés – des collaborateurs. Puisqu’on propose un large éventail de possibilités (nombre de jours par semaine de télétravail, lieux de télétravail variés…), tout le monde y trouve son compte. Si on voit que dans les différentes études, la majorité des collaborateurs souhaitent travailler à distance 2 à 3 jours par semaine, quid de ceux qui ne veulent jamais télétravailler ? Ou ceux qui préfèrent télétravailler 4, voire 5 jours par semaine, et ne venir au bureau qu’une semaine par mois ? En proposant un cadre relativement rigide du télétravail (par exemple 2 à 3 jours par semaine) on va oublier en chemin près d’un salarié sur 5 qui aimerait faire autrement.
Le maître mot est donc bien “flexibilité”. C’est ce que montre l’étude de Microsoft citée plus haut : 41% des collaborateurs déclarent vouloir quitter leur entreprise si elle ne propose pas une flexibilité d’organisation des jours et des lieux de travail.
Les entreprises qui proposeront ces modes de travail pourront néanmoins compter sur des retombées positives importantes :
- Augmentation de la motivation / engagement des collaborateurs
- Amélioration de la rétention / baisse du turnover
- Augmentation de l’attractivité / marque employeur, notamment dans la guerre des talents pour des postes techniques / développement.
- Une augmentation globale de la productivité
- Une réduction modérée des coûts (si les conditions sont réunies, voir plus loin)
Le modèle hybride pose toutefois question. Et c’est sans surprise que de nombreuses entreprises avancent prudemment sur le sujet. Le principal défi est d’arriver à maintenir une synchronisation des équipes et des collectifs.
Le défi du travail hybride : la synchronisation des équipes et des collectifs
Se lancer dans un modèle aussi flexible et “à la carte” n’est pas sans risque. Le principal problème viendra du fait que des rythmes de télétravail très différents vont coexister dans l’entreprise. Dans une même équipe, on pourrait se retrouver avec des personnes qui ne se croisent jamais, et d’autres qui se voient en permanence, ce qui pourrait nuire à la cohésion d’équipe.
De nombreux salariés peuvent se retrouver complètement perdus dans un monde sans régularité, où on ne sait jamais qui sera au bureau ou à distance et quand on pourra voir physiquement son équipe pour une réunion. On pourra rétorquer que ces réunions peuvent se faire à distance mais c’est ignorer le besoin de certaines personnes ou pour certaines activités de se voir physiquement. Ce mode d’organisation ne conviendra donc pas à tout le monde, et il est probable qu’une partie des équipes ne s’y retrouvent pas.
Les managers risquent également le décrochage si ils ne sont pas bien accompagnés. Dans le modèle hybride, la tentation sera forte de recréer une pression à la présence en invoquant la cohésion d’équipe. Ceci aura pour conséquence une injonction contradictoire : liberté / flexibilité vs contrainte. L’autre écueil sera le “lâcher prise” dans lequel les managers laissent complètement libres leurs collaborateurs, sans arriver à ressouder le collectif autour d’un but ou de valeurs communes.
C’est donc bien au niveau de chaque équipe qu’il faudra décider collectivement des modes d’organisation, arriver à un consensus et le remettre à plat régulièrement (nous aborderons ces points en détail dans un prochain billet). Et s’assurer en complément de ne pas créer un “effet silo” entre les équipes autonomes.
La question de l’équation économique
La question des coûts ne doit pas être la raison première pour laquelle l’entreprise met en place le travail hybride. Mais elle doit être posée. En théorie, avec une croissance du télétravail, il est possible de dégager une économie immobilière en réduisant fortement les m2. 74% des CFO pensent d’ailleurs le faire post COVID selon une étude GARTNER. Quand on sait que l’immobilier représente le 2e coût pour les entreprises derrière les salaires, on sait que l’enjeu est de taille ! On estime que post-COVID les entreprises pourraient économiser 20 à 40% de leurs coûts immobiliers. Ceci dépendra de l’intensité du travail hybride qui sera décidée.
Deux éléments importants néanmoins sont à prendre en compte :
- la possibilité de résilier son engagement (souvent un bail, rigide) ou de sous-louer ses locaux.
- la possibilité de passer en “flex office” ou “activity based office” c’est-à-dire en postes partagés / non attribués. En effet, ce mode d’organisation des bureaux peut accélérer la fragmentation des collectifs et être mal vécu par les collaborateurs (lien vers un article sur le sujet ?)
Il sera important également de prendre en compte les retombées non financières du travail hybride, citées plus haut (turnover, rétention, attractivité…) ainsi que les impacts environnementaux (réduction des déplacements et des émissions de CO2 par exemple).
Face à ces économies ou bénéfices, plusieurs coûts sont à prendre en compte pour avoir une vision globale du “retour sur investissement” du travail hybride :
- Les subventions d’équipement des salariés à domicile.
- Les coûts de location d’espaces de coworking / tiers-lieux.
- Les subventions des coûts de transport (si liberté large de lieux de travail).
- Les coûts d’accompagnement et de formation des collaborateurs et managers.
- Les coûts de réaménagement des espaces, au siège notamment.
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Le travail hybride est une nouvelle forme d’organisation du travail qui semble idéale pour préparer le monde post-COVID. Elle propose un choix large de modes et lieux de travail, tout en garantissant une flexibilité maximale aux équipes. On a vu cependant qu’elle n’était pas sans risques – et les entreprises qui décideront de se lancer dans l’aventure devront le faire de manière structurée, pour en retirer tous les bénéfices.
Certaines entreprises décideront de ne pas sauter le pas et de ne proposer que des modèles rigides ou prudents de télétravail, ou pire, un retour forcé au bureau. Il est probable que les conséquences en termes de motivation, d’attractivité et de productivité soient négatives à long terme. Et que celles qui ont pris le risque de répondre aux besoins profonds des collaborateurs tirent leur épingle du jeu. Si c’est le cas, le travail hybride n’est pas seulement un néologisme inventé pendant les longues heures en télétravail forcé. Ce sera un élément de compétitivité majeur dans le succès et la survie des entreprises demain.
Nous reviendrons dans un prochain billet sur 5 clés pour réussir la mise en place du travail hybride.
Pour aller plus loin / référence des études et articles :