Pics de pollution, télétravail, tiers-lieux… Et si on en parlait? Comme à chaque épisode de pic de pollution, tous les acteurs qui oeuvrent pour la promotion de nouveaux modes de travail et de mobilité – dont nous faisons partie – sont atterrés. Circulation alternée, transports gratuits… Politiques, associations, entreprises – toute la société civile se mobilise pour trouver des solutions. Mais à aucun moment on ne parle de télétravail et de nouvelles formes de (non)mobilité. A l’heure où 50% des emplois sont réalisables à distance, où 2 français sur 3 souhaitent en profiter (et 77% de franciliens), comment expliquer alors que ce sujet ne soit jamais pris en compte ? Pourquoi ne pas simplement décréter les jours de pic que tous les salariés en capacité de travailler à distance doivent le faire, avec l’accord de leur hiérarchie… Ou pas?
Le télétravail progresse (trop) lentement
Il est vrai que le télétravail progresse – même si ces développements sont lents, ils sont continus. De nombreuses entreprises ont mis en place un dispositif et un accord de télétravail. Mais ceux-ci sont confrontés à plusieurs freins, aujourd’hui bien connus.
Sur le terrain, managers et équipes se retrouvent souvent désemparés et mal informés pour prendre en charge un réel projet de transformation de l’organisation du travail. Dans les faits, même si un accord prévoit la possibilité de télétravail, de nombreuses directions ou équipes voient des taux d’adoption faibles du fait de cette résistance larvée. Et – à ce stade – jamais liés aux épisodes de pics de pollution, avec des dispositifs exceptionnels d’accès au télétravail. Il suffit d’un manager ou d’un patron de BU foncièrement contre, à qui on a imposé un dispositif de télétravail rigide, qui remet en cause principes d’organisation et posture, pour que tout un service s’auto-censure.
Les outils et infrastructures informatiques n’ont également pas encore fait complètement leur mue. Même si on clame l’avènement du tout digital et du cloud, dans de nombreuses entreprises, le taux d’équipement mobile est encore faible, et les applications métiers et outils de communication ne sont pas encore déployés.
Nous ne sommes, de plus, pas tous égaux face au télétravail à domicile. Nous l’avons suffisamment relaté dans ces colonnes: manque de place ou d’équipement, environnement peu propice à la concentration, volonté de coupure entre vie pro et perso… Pour de nombreuses personnes le domicile n’est pas un environnement favorable au travail. Pour ces personnes, les tiers-lieux de travail, qui ont explosé ces dernières années, proposent une alternative que nous n’avions pas il y a même 5 ans. Avec plus de 600 espaces en France, ces solutions ont également leur rôle à jouer.
Il est temps que quelques décideurs et grands patrons éclairés puissent prendre la parole publiquement et encourager ce type de pratique, notamment lors de cas de pics de pollution.
Surtout, ce sujet n’est pas encore pris par les entreprises comme un réel enjeu stratégique, à la croisée des domaines immobiliers, RH, IT. Et par manque de vision, les Directions Générales n’impulsent pas suffisamment un message fort de promotion de ces nouveaux modes de travail, pourtant bénéfiques pour tout le monde (salarié, employeur… environnement!). Il est temps que quelques décideurs éclairés puissent prendre la parole publiquement et encourager ce type de pratique, notamment lors de cas de pics de pollution.

Le sujet est quasi invisible dans l’espace public
Et pourtant, il nous semble qu’il est sous nos yeux depuis presque 10 ans… Hormis un bref moment d’attention publique en juin dernier lors d’un débat au Sénat sur la possibilité de faciliter le télétravail pendant les pics de pollution, le sujet est presque complètement absent du débat public. Celui-ci avait par ailleurs montré de manière caricaturale la méconnaissance du sujet par certains membres de la Chambre Haute. Certes, il est de la responsabilité des entreprises de mettre en place des accords, mais le rôle du législateur n’est-il pas de créer les conditions favorables et d’encourager les pratiques bénéfiques au plus grand nombre? Un tel aveu d’échec et d’immobilisme est désolant à l’heure où toute l’agglomération parisienne s’empoisonne sans trouver de nouvelles solutions viables à ce problème chronique.
Et c’est d’autant plus frustrant que ces mesures ne coûteraient rien… à personne! Hormis des indemnités (minimes et non obligatoires) pour les jours travaillés à distance, et l’occasionnelle place en tiers-lieux, ni entreprise ni acteurs publics n’ont à débourser un sou pour permettre ces pratiques! Mais les blocages sont ailleurs.
Côté Ville de Paris, idem. On proposera la gratuité du Velib, on imposera la circulation alternée (dans un principe arbitraire le plus total) mais à aucun moment on ne se pose la question simple de « et si – pour ceux qui le peuvent – on ne se déplaçait pas pour travailler, tout simplement? » A commencer par les agents de la Ville eux-mêmes? Il y a fort à parier que la timide expérimentation qui est en cours aura du mal à impacter concrètement les flux de transport. Ici encore (voir plus haut) on ne va pas assez vite, et avec un manque de vision globale et de courage politique.
On proposera la gratuité du Velib, on imposera la circulation alternée (dans un principe pour le moins aveugle) mais à aucun moment on ne se pose la question simple de « et si – pour ceux qui le peuvent – on ne se déplaçait pas pour travailler, tout simplement? »
Les seules initiatives qui semblent voir le jour, sur ce sujet pourtant porteur politiquement, sont issues de candidats à la primaire à Gauche, avec des déclarations récentes d’Arnaud Monterboug notamment, qui note très justement que « Je sais que ce sujet est populaire. Il n’est pas dans le débat public. » On est bien d’accord… Mais pourquoi? Pour des acteurs qui se battent sur ce sujet depuis presque 10 ans, il est difficile de comprendre l’invisibilité totale dont souffre ce sujet quand il s’agit de le relier aux enjeux de réduction des émissions de CO2 et de gestion des pics de pollution.

Les tiers-lieux de travail ont un rôle de premier plan à jouer
Comme nous le soulignons, les espaces de travail flexibles et collaboratifs, intermédiaires entre bureau et domicile, ont un rôle clé à jouer. C’est le sens des nombreuses initiatives, pétitions et opérations que nous avons lancées avec toute la communauté des tiers-lieux ou espaces de coworking ces dernières années. L’opération journées gratuites dans le cadre de la fermeture du RER A par exemple, montre bien de quelle manière on peut lier les problématiques de déplacement à ceux des espaces de travail: dans une ville « intelligente », un réseau d’espaces de travail maillant suffisamment le territoire doit permettre de rapprocher le travail des lieux d’habitation ou de déplacement des travailleurs mobiles. Car on dépasse dans ce cas le simple télétravail à domicile. Ce sont toutes les pratiques de mobilité, de déplacement qui sont potentiellement impactées.

Alors, on se bouge?
Depuis notre création il y a 5 ans, nous cherchons à attirer l’attention sur ces sujets, pourtant essentiels puisque touchant à la santé et au bien-être de tous. Pétitions, articles, communication, rien n’y a fait. Mais avec la maturation des entreprises sur le sujet du télétravail, et l’avènement des tiers-lieux, le sujet doit aujourd’hui être plus que jamais d’actualité.
Quelques propositions concrètes:
- Promouvoir et mettre en place des actions de sensibilisation des entreprises et administrations sur les sujets du télétravail et de la mobilité (dans la continuité par exemple du Tour de France du Télétravail que nous avons lancé avec tout l’écosystème français sur ces sujets depuis bientôt 4 ans)
- Lancement d’une pétition nationale de grande envergure (voir celle que nous avions lancé en 2014)
- Promouvoir les actions conjointes de start-ups qui proposent des solutions innovantes mais qui manquent de soutien public et privé pour passer à l’échelle – voir par exemple le partenariat pour la mobilité que nous avions lancé avec une dizaine de start-ups qui se mobilisent pour la mobilité (Wayz-Up, Green-On, ZenPark…)
- Permettre des avantages fiscaux (par exemple taxe transport) pour les entreprises ayant mis en place un programme de télétravail avec taux de télétravail mesuré de plus de X% (pour éviter les accords « cosmétiques »)
- Inscrire un droit de télétravailler les jours de pics de pollution
- Proposer des journées gratuites dans les tiers-lieux / coworking les jours de pics de pollution, comme nous l’avions fait dans le cadre de la fermeture estivale du RER A
- Tester les nouveaux modes et espaces de travail en rejoignant l’expérimentation nationale Quel bureau demain?
Pour aller plus loin:
- Revoir la vidéo d’animation que nous faisions sur le sujet, il y a déjà plusieurs années
Vous avez des idées, vous voulez participer / rendre ce débat visible, n’hésitez-pas à répondre et – surtout – à partager et faire buzzer. C’est sans doute un slogan marketing un peu fumeux, mais dans ce cas je pense que l’adage s’applique bien ici: « ensemble, construisons un monde meilleur ».