Le coworking a bientôt 15 ans et le mouvement a bien évolué depuis la création de Spiral Muse aux Etats-Unis en 2005. À ses débuts, le mot « coworking » renvoyait à l’émergence de besoins en espaces de bureaux collaboratifs, ouverts entre indépendants ou start-ups. L’idéalisme des pionniers laisse aujourd’hui la place à une industrialisation très rapide du secteur. La multiplication du nombre d’espaces et d’opérateurs, notamment des acteurs financièrement puissants et ambitieux comme Spaces, Knotel ou WeWork, a permis de faire connaître très largement le concept. Mais cette accélération questionne en parallèle sur l’avenir du mouvement.

Comment évolue ce mouvement en pleine ébullition ? Quels en sont les principaux acteurs et les différents modèles ? Quelles évolutions peut-on imaginer pour les prochaines années? Neo-nomade vous propose un petit instantané du mouvement et de son évolution, vue de l’intérieur depuis 10 ans.

Les origines du coworking

Les premiers espaces de coworking sont apparus au milieu des années 2000 aux Etats-Unis et en Allemagne. Afin de pallier à la solitude, des entrepreneurs et freelances décident de se regrouper dans des lieux de travail communs. Ils forment des communautés partageant des ressources, du savoir et du lien social. Le coworking trouve indéniablement ses origines dans le refus des codes hiérarchiques et impersonnels de la grande entreprise : l’informalité et l’économie du partage sont les maîtres mots de ces nouveaux espaces de travail.

En France, les premiers espaces de coworking apparaissent à la fin des années 2000 à Paris (La Cantine, La Ruche puis Mutinerie notamment) puis au début des années 2010 dans d’autres métropoles (avec en autre La Cordée à Lyon, Coworking Lille, Les Satellites à Nice…). A noter que le monde rural n’est pas en reste avec des télécentres qui se transforment peu à peu en espaces de coworking ruraux (Télécentre de Murat, Boitron,…).

Destinés aux travailleurs indépendants, ils rencontrent un véritable succès grâce à la convivialité qu’ils offrent, mais sont rarement viables économiquement et souvent soutenus par des fonds publics, privés ou par leurs propres fondateurs. Ainsi dès 2010, la Région Île-de-France investit dans l’aide à la création de tiers-lieux via son agence numérique, La Fonderie. L’ex-Région Aquitaine soutient également la création de la Coopérative des Tiers-lieux pour aider au développement et à la structuration d’un réseau d’espaces de coworking sur le territoire.

L’apparition d’espaces de travail « hybrides »

Le développement international des chaînes Spaces (rachetée par IWG) et Wework à partir de 2010 représente un tournant dans l’évolution du marché du coworking. Alors qu’aux Etats-Unis comme en Europe, le nombre de petits espaces de coworking indépendants (300-400m2) explose, ces nouveaux opérateurs créent des espaces hybrides.

Ils opèrent une convergence entre la proposition de valeur de ces petits espaces de coworking et le modèle économique du centre d’affaires en prenant à bail de grands plateaux de bureaux et les sous-louant à des écosystèmes de travailleurs indépendants et de petites entreprises.

En France un des premiers acteurs à se lancer sur ce schéma est le nantais Euptouyou.

Ce modèle hybride se popularise : les TPE abandonnent leurs bureaux pour un abonnement mensuel en coworking, et les grandes entreprises y aventurent peu à peu quelques unes de leurs équipes projets. Mariant les codes du coworking et ceux du centre d’affaires, il permet de répondre à la demande d’immobilier flexible des entreprises et concurrence bientôt les filières immobilières traditionnelles.

Le développement de Spaces et WeWork marque un tournant dans l’industrialisation du marché. cc Spaces.com

Quels sont les 3 principes majeurs du coworking ?

Avec l’arrivée de Wework et de ses concurrents, le coworking évolue. Le terme « coworking » désigne désormais une réalité hétérogène loin du simple open-space, allant du tiers-lieu centré sur le partage de ressources et le lien social à des mastodontes dont le modèle se rapproche plutôt de celui des centres d’affaires.

Pour autant, tous ces espaces répondent à quelques principes clefs :

  • la flexibilité (abonnement journalier ou mensuel, flexibilité des surfaces « louées »),
  • une communauté de membres avec des niveaux d’animation par du personnel dédié qui peuvent toutefois largement variés d’un espace à l’autre,
  • et des services inclus dans le forfait (fonctions supports, événementiel, boissons…).

Depuis 2015, on peut raisonnablement dire que le coworking est devenu un marché et que celui-ci est entré dans une phase de structuration et de concentration de l’offre.

Statistiques sur le coworking: un marché en croissance

Le nombre d’espaces de coworking ne cesse de croître. Fin 2019, on recensera près de 22 400 espaces de coworking sur la planète et plus de 2,1 millions d’utilisateurs.

Le nombre d’espaces de coworking a été multiplié par 9 entre 2012 et 2017 ! Et le rythme de création d’espaces ne décélère pas. Près de 25% des espaces de coworking ouverts aujourd’hui dans le monde n’existaient pas il y a un an. (Source : Deskmag – Coworking survey 2019).

La surface des espaces de coworking ne cesse également de croître : 70% des espaces ouverts en France entre 2016 et 2017 ont une surface supérieure à 2000 m2 (source : Arthur Lloyd). La surface moyenne des « centres hybrides » est de 4000 m2 (source : JLL, 2018).

Face à la croissance exponentielle de Wework ou Knotel, les foncières et opérateurs des centres d’affaires décident de rivaliser et se lancent sur ce nouveau marché de l’immobilier flexible :

  • IWG détient Regus, Spaces et Stop & Work ;
  • Bouygues Immobilier investit dans Wojo (ex-Nextdoor) avant d’en céder 50% à AccorHotels, qui est également propriétaire de la chaîne Mama Works ;
  • Nexity, après avoir lancé sa propre chaîne de coworking, BlueOffice, décide d’y mettre fin et de prendre des participations dans Morning Coworking, puis diversifie son portefeuille en pariant sur les franchises Anticafé et Cocoon space
  • Deskeo quant à lui poursuit son développement rapide grâce à l’arrivée à son capital de Knotel.

Ces acteurs de l’immobilier contribuent à la croissance et la concentration de l’offre.

Quels sont les acteurs du coworking ?

Dans le monde du coworking, les acteurs sont nombreux et les modèles très variés. Même si l’exercice est délicat (et sans doute imparfait) nous avons dessiné des grandes catégories d’acteurs et quelques caractéristiques distinctives pour chaque modèle.

le marché du coworking en France
Exemple de segmentation du marché du coworking (source : LBMG Worklabs)

Les indépendants

La moitié des espaces de coworking sont des indépendants qui n’opèrent qu’un seul site (source : Arthur Lloyd, 2017). Ces espaces de 300 à 600 m2 ciblent avant tout des travailleurs indépendants et des petites entreprises. Ils proposent des espaces de travail partagés et quelques bureaux privatifs.

Une attention particulière est portée à l’animation de communauté, à l’événementiel et à la création de liens entre les membres comme par exemple : Casaco, Cool & Workers, Remix Coworking, Mozaik Coworking, etc.

Les « pure players »

Les « pure players » sont des coworkings qui proposent des postes de travail à une clientèle composée d’indépendants et de jeunes entreprises. Orientés vers les start-ups et l’innovation, ils proposent une offre qualitative plus accessible que celle des centres hybrides, avec un design de gamme inférieure.

Leur surface moyenne se situe entre 400 et 5000 m2.

Initialement indépendants, ces espaces ont ouvert leur capital à de grands acteurs de l’immobilier ou de l’hôtellerie et connaissent actuellement une croissance exponentielle.

Les ultra premium

Quelques espaces de coworking ont adopté un positionnement ultra-premium axé sur le bien-être : c’est notamment le cas de Kwerk, Welkin & Meraki et le coworking The Bureau.
Ces espaces de 2000 à 10 000 m2 proposent une gamme complète de services (restauration, sport…) avec une orientation marquée autour du bien-être.

Leur tarif est le plus élevé du marché et ils ciblent avant tout des professions libérales (avocats, banquiers…).

Ces espaces proposent peu d’animation de communauté.

Les centres hybrides

Les centres hybrides sont les nouveaux opérateurs de l’immobilier flexible. Adossés à des investisseurs puissants, ils bénéficient d’une force de frappe qui leur permet de se développer rapidement à l’international sur des surfaces allant de 2 000 à 20 000 m2.

Ils ciblent une clientèle mixte, des start-ups aux grandes entreprises, avec des espaces et services premium.

Ces espaces mettent l’accent sur le réseau professionnel qu’ils proposent et la dynamique d’animation de communauté. Contrairement aux autres catégories d’opérateurs, ces acteurs disposent d’un savoir-faire et d’une taille leur permettant de proposer des offres de flexibilisation immobilière aux grands comptes. Knotel et Wework sont notamment capables aujourd’hui d’opérer des sièges sociaux d’entreprise de manière flexible.

Les Centres d’Affaires 

Les centres d’affaires représentent toujours 63% de la surface de bureaux disponible sans prise à bail en Île-de-France (source : Orie). Dans cette région, ce marché est dominé par les centres d’affaires Regus (hors Spaces) qui représentent au moins 20% des surfaces de bureaux flexibles de la région, soit 30% des surfaces de centres d’affaires.

Le reste du marché est relativement atomisé.

Les coworking cafés

Les coworking cafés sont à la croisée entre les espaces de coworking et les cafés.

L’aménagement des espaces permet d’y travailler, la facturation dépend du temps passé (à l’heure ou à la journée) et de la restauration légère est incluse dans le prix. Ces espaces indépendants ont des surfaces inférieures à 300 m2.

Leur modèle économique repose sur les freelances, travailleurs nomades et sur la privatisation. Anticafé, premier « coworking café », a ouvert 9 espaces de coworking à Paris et 4 en région. Hubsy compte 3 espaces parisiens dans les quartiers d’affaires.

Le modèle des coworking cafés allie les codes du café wifi à l’offre all inclusive des espaces de coworking. Photo cc Anticafé.eu

Qui sont les utilisateurs des espaces de coworking ?

TPE et PME – des segments qui arrivent à maturité 

Si les indépendants ont alimenté la croissance du coworking dans les années 2010, leur proportion au sein des espaces diminue. Ils ne représentent aujourd’hui plus que 41% des utilisateurs juste devant les salariés d’entreprise – 36% des utilisateurs (source : Coworking Survey 2019 – Deskmag).

Année après année, les espaces de coworking attirent des structures de plus en plus importantes.

Après les start-up et les PME ce sont désormais les grands comptes (ETI, Grandes entreprises et mêmes administrations comme la Région Ile-de-France) qui ont recours au coworking.

Les profils d’utilisateurs varient fortement selon les types d’espaces de coworking évoqués précédemment. Les indépendants et “pure player” sont tournés vers les travailleurs indépendants et les petites structures, là où les centres hybrides développent des services et espaces privatisables dédiés aux plus grosses structures (plateau privatisable, aménagement et services sur-mesure, siège social, salle de réunion, ..)

ETI et Grandes Entreprises – un potentiel inexploité ?

Du côté des moyennes et grandes entreprises, elles sont encore peu nombreuses à avoir sauter le pas. Néanmoins celles, pionnières, qui ont recours au coworking pèsent déjà lourd dans les demandes d’immobilier flexible.

En 2018, les entreprises de plus de 50 salariés occupaient 51% des postes de travail des centres hybrides en France (Source : JLL).

L’utilisation des espaces de coworking par les entreprises répond à des besoins divers : espaces de travail alternatifs pour les télétravailleurs et les nomades, espaces de réunions ou événementiel, bureaux privatifs pour des équipes projet ou en surface d’appoint.

Le marché des grandes entreprises reste encore majoritairement sous-exploité

Quoique très attendus sur le segment du coworking en raison des évolutions structurelles du travail, les nomades et télétravailleurs l’utilisent encore de manière marginale :

  • Les nomades travaillent principalement depuis des restaurants, cafés et espaces voyageurs en gare ou aéroport. 38% ont déjà testé le coworking, mais moins de 10% y ont recours régulièrement.
  • Seules 2% des entreprises franciliennes proposent à leurs salariés de télétravailler dans un tiers-lieu (source: CROCIS, 2016). Or, au sein de ces entreprises, seuls 5 à 10% des télétravailleurs utilisent cette possibilité (source : Neo-nomade). Quelques entreprises pionnières ce sont néanmoins lancé sur le sujet avec succès.  

Aujourd’hui on recherche plutôt des bureaux privatifs au sein des espaces de coworking, vus comme des prolongement de politique de flexibilisation du parc immobilier. Cette tendance est mondiale puisque désormais près de 25% des revenus moyens générés par les espaces de coworking reposent assez paradoxalement sur de la vente de bureaux privatifs.

Quelles sont les 3 grosses tendances pour le coworking ?

Les récents déboires de Wework vont alimenter dans les prochaines semaines des questions sur la pérennité du coworking, mais celui-ci ne se résume pas à une licorne et à ses modèles de valorisation opaques. Le mouvement est bien plus profond et le virus déjà bien implanté. Cependant, il mute rapidement et prend des formes diverses. Voici quelques tendances que nous avons identifiées.

1. Résistance des “petits” espaces de coworking

Face à la diversité des demandes et types d’utilisateurs, la coexistence de plusieurs modèles d’espaces de coworking est amenée à durer.

Le développement du coworking dans des villes de plus petites tailles et en ruralité va contribuer à soutenir le développement d’espaces à taille humaine, fortement ancrés sur leur quartier et privilégiés par des travailleurs indépendants et des TPE.

Pour ces espaces la question de la profitabilité et a minima de l’équilibre financier restera l’enjeu majeur. Avec des marges de manoeuvres faibles pour optimiser les coûts (optimisation des loyers ou partenariats acteurs publics/privés, diminution des charges opérationnelles via la réduction du niveau de services ou l’ implication des utilisateurs, …) il devront assurer un niveau de revenus suffisant et stable (fidélité des utilisateurs via une excellente animation de communauté et/ou des prix compétitifs, bonne visibilité via une bonne politique de partenariats et de communication,…).

Le réseau de douze espaces de coworking de La Cordée avec leurs sites de petite taille et leur forte animation de communauté ou le réseau Relai d’Entreprises sont de bons exemples.

2. Multiplication des espaces de travail hybrides

Pour accompagner la croissance du nombre de travailleurs indépendants et répondre aux demandes grandissantes des entreprises pour de l’immobilier flexible, le nombre d’espaces de travail hybrides de grande taille va continuer de progresser.

D’un point de vue nombre d’espaces de travail, les petits coworking restent majoritaires.

Si l’on prend par contre une approche en m², il est probable que 80% à 90% du marché du coworking exprimé en m2 se situe d’ici 5 ans du côté des espaces de travail hybrides ou pure player qui proposent des surfaces de plus de 800 m².

La multiplication d’espaces de travail hybride questionne néanmoins car ces espaces se démarquent du mode d’aménagement classique du coworking. Ainsi la dernière enquête de Deskmag montre que “Les bureaux privatifs occupent désormais autant d’espace que les espaces de travail ouverts (34%).

Seul l’espace café/salon supplémentaire (9%) permet de préserver la nature ouverte et partagée de ces espaces.
Près d’un espace sur 9 loue même plus de 60% de son espace en tant que bureaux privatifs. En période de forte demande pour de tels espaces, cette forme de sous-location moins innovante fournit une base financière solide, mais remet en question leur classification en tant qu’espace de coworking.

Certaines chaînes comme Wellio l’assume tout à fait d’ailleurs en parlant d’espaces de « proworking » et non plus de coworking. Avec l’essor des demandes des grands comptes et des espaces hybrides, on ne devrait donc plus parler uniquement du marché du coworking mais bien du marché de l’immobilier flexible.

3. Diffusion du coworking dans les entreprises

“Si tu ne vas au coworking, le coworking viendra à toi”. Dans un article prémonitoire écrit en 2011, nous avions annoncé que le virus coworking allait se répandre au sein même des entreprises et nous lui avions même donné un nom : le “corpoworking”. Après plusieurs années de tâtonnement plusieurs formes de coworking interne ont émergé.

Ainsi des espaces de travail nomades et de lieux de réunion ont été mis en réseau dans plusieurs grandes entreprises françaises. Bouygues construction par exemple a créé un réseau d’espaces de travail flexibles à l’échelle de la France en intégrant notamment des cabanes de chantier “revisitées” en espace de réunion. Même si ces initiatives restent encore marginales, le terrain de jeu reste entier sur la manière d’ouvrir les bâtiments et de créer de la circulation entre les sites. 

Des mini “sièges sociaux” sont désormais créées et opérés par des acteurs de coworking : espaces personnalisables, aux couleurs de l’entreprise mais reprenant les grands principes du coworking. Dans le monde, Knotel et sa filiale Deskeo en France s’en sont fait une spécialité. Wework également avec son concept Wework hq (pour headquarters) propose ce genre d’espaces de travail “as a service”. C’est également le chemin pris par Sodexo avec son concept de « Social Hub ». 

Le coworking a peut-être aussi permis une diffusion plus large du modèle de « flex-office » dans lequel les postes ne sont plus attitrés à chaque collaborateur.  Plus largement, le coworking a contribué à proposer aux entreprise un nouveau modèle d’aménagement et de (co)conception des espaces de travail, tournés vers les usages de leurs communautés. 

Quel avenir pour le travail nomade ?

Malgré les incertitudes sur l’évolution du marché, le coworking est là pour rester. Du côté de la demande, le coworking répond parfaitement aux besoins des entreprises – petites et grandes – pour une plus grande flexibilité immobilière. On peut se demander cependant ce qui va rester des idéaux et des valeurs fondatrices du coworking ? Les acteurs industriels seront-ils capables de se développer en préservant leur ADN sans tomber dans le « coworking-washing » ?

L’intégration d’un nouvel acteur « opérateur de flexibilité » entre les propriétaires et les utilisateurs finaux semble correspondre à une évolution naturelle du marché. Reste à savoir notamment comment vont se réaligner les grands acteurs du secteur et comment chacun trouvera sa place. Le terrain des grandes entreprises, très exigeantes qualitativement et qui ont besoin de réseaux forts, reste largement inexploré. Autre acteur encore absent : les pouvoirs publics, qui ne prennent pas suffisamment en compte le potentiel du secteur afin de rééquilibrer les flux et de relocaliser le travail dans les territoires. L’avenir semble radieux, mais rien n’est encore acquis !

Cet article a été écrit en collaboration entre les équipes Neo-nomade Entreprise et LBMG Worklabs. N’hésitez-pas à réagir et à partager pour enrichir ces constats et idées prospectives.